E60 - Questions à se poser avant tout projet de création ou d’amélioration d’un service d’eau

8 février 2012

1) De quoi s’agit-il ?

Au moment de décider de réaliser un projet de captage et de distribution d’eau potable, il faut s’assurer qu’il permettra de satisfaire de façon pérenne les besoins de la population concernée. Tout projet doit donc faire l’objet d’une étude préalable permettant d’analyser la pertinence des aspects techniques, le coût des travaux et de la maintenance et le mode de financement ainsi que son mode de gestion. Cette fiche a pour objet d’aider tout initiateur de projet à établir une sorte de check list des questions à se poser avant de démarrer un projet d’alimentation en eau potable. Elle s’adresse plus particulièrement aux populations des zones rurales, des petites agglomérations et des quartiers péri-urbains.

2) Pourquoi ?

Tout projet d’alimentation en eau potable doit permettre de fournir de l’eau de potable en quantité et en qualité suffisantes pour assurer les besoins essentiels de la population, de façon accessible et à un prix abordable par la population concernée. Une bonne conception technique, un financement adapté et la mise en place un mode de gestion performant sont les préalables à la réussite des objectifs.

3) En quoi consistent ces recommandations ? Comment concevoir le projet le plus adapté ?

Le choix des infrastructures à construire est déterminé par des critères techniques, financiers et sociologiques. Ces trois aspects doivent permettre de sélectionner la meilleure solution techniquement faisable, supportable financièrement (construction et entretien) et acceptée par la communauté.

a) Questions préliminaires avant de monter un projet

Avant de monter un projet et d’en examiner les aspects techniques, économiques et sociaux, il faut en définir le cadre et les contours en se posant les questions préliminaires suivantes :

- Qui est à l’origine du projet ? : il s’agit de mettre en évidence les « porteurs » du projet, c’est-à-dire les personnes ou les institutions qui ont lancé l’idée, qui ont pris les premiers contacts, etc. Il est en effet utile de savoir s’ils sont bien représentatifs de la population et habilités à intervenir.

- Quels sont les principaux besoins de la commune ou du quartier ? : S’agit-il par exemple de fournir de l’eau à usage domestique (boisson, lessive, hygiène corporelle), de l’eau à usage pastoral pour le bétail ou pour l’agriculture (irrigation, maraîchage, cultures vivrières…) ?. Quel est le débit nécessaire ? Quelle est la qualité bactériologique requise ?
Il importe d’analyser très soigneusement à quoi doivent servir les futurs aménagements et où ils doivent être réalisés, car on ne construit pas de la même manière les points d’eau selon leur futur usage et une seule solution permet rarement de couvrir tous les besoins.

- Quels sont les besoins déjà couverts et ceux restant à satisfaire ? : La plupart des villages possèdent en effet déjà un dispositif d’équipement hydraulique qu’il ne faut pas supprimer mais améliorer. Bien connaître l’existant et les pratiques actueles évite souvent des erreurs ou des dépenses inutiles.

- Le projet est il cohérent avec la politique nationale de l’eau ? : Il importe que tout nouvel aménagement soit conforme à la politique nationale et contribue à son essor, ce qui nécessite donc de se renseigner pour mieux la connaître, seule une action concertée et globale ayant des chances de permettre à un Etat de s’en sortir.
 De plus, il est indispensable de connaître la réglementation, les recommandations ou les usages de la région en matière de réalisation ou de choix d’équipements hydrauliques (forages, pompes, réglementation des points d’eau visant à éviter de surexploiter les nappes notamment). Il est enfin indispensable de penser à obtenir les autorisations préalables.

- Quel est le prix que les habitants sont prêts à payer ? : Il ne sert à rien en effet de concevoir et de réaliser un équipement coûteux si on n’a pas au moins une idée relativement précise de ce que la population est capable et accceptera de financer, tant pour sa réalisation que pour sa maintenance.

b) Aspects techniques


Captage de sources au Burundi. Photo Caritas

Investigations préliminaires :

Les aspects techniques suivants doivent faire l’objet d’études préliminaires avant de choisir le mode de captage ou d’équipement :
- La pluviométrie et les caractéristiques des pluies
- La quantité d’eau nécessaire
- Les ressources en eau disponibles, leur qualité et leur fiabilité 
- Le nombre de sources d’eau éventuelles et leur localisation
- La nature du sol
- Le niveau de la nappe phréatique
- Les risques de dégradation de l’environnement
- Les caractéristiques de la population et de ses besoins en eau
- Les attentes des services techniques locaux

L’analyse de ces caractéristiques, de leur coût, de la motivation et du mode d’organisation et de participation de la population conduira à réaliser une étude comparative des solutions et de faisabilité. S’il s’agit d’un projet important, il est conseillé de se faire aider et au moins de faire valider par des spécialistes.

Cette étude, qui doit être complétée d’une analyse socio-économique, fera notamment ressortir : 
Quelle sont les solutions envisageables ? Quelle est la solution technique préférable ? Quelle est celle qui paraît en outre la meilleure pour la population ? Comment choisir le matériel correspondant au type d’équipement proposé ? Comment en garantir la maintenance et s’assurer de trouver des pièces détachées ?

Les principaux critères de décision seront :
- le niveau de service attendu
- la qualité et la pérennité de l’équipement
- le coût de l’investissement et de la maintenance
- l’existence et le niveau de compétences locales disponibles
- les facilités d’utilisation et d’entretien
- la capacité à payer de la population et de la commune
 

Le tableau ci-dessous donne des ordres de grandeur du coût (en euros) de quelques investissements courants :

  Captage d’une Source sans réseau gravitaire Puits avec pompe manuelle Forage avec pompe manuelle Forage motorisé Réseau simple avec bornes fontaines Réseau avec branchements individuels
Investissement initial 600 à 1000 5 000 à 8000 10 à 12 000 20 à 30 000 100 à 300 000 150 à 500 000
Coût invest. par habitant 2 à 4 20 à 30 35 à 40 50 à 75 80 à 120 150 à 200
Coût annuel de maintenance négligeable 40 à 70 40 à 70 1000 à 1500 2000 à 5000 8 à 15 000

Photo Caritas Burundi

Analyse des besoins en eau, débits nécessaires :

Le premier aspect à évaluer est celui de la démographie et de la répartition de la population : nombre d’habitants à alimenter, densité de la population et croissance prévue.

Le second aspect concerne l’évaluation de la consommation d’eau journalière en tenant compte des consommations domestiques (consommation moyenne actuelle d’une famille et prévision de croissance éventuelle de la population) et des consommations agricoles ou artisanales.

Exemple :
Il est généralement admis que la consommation nécessaire pour assurer dans un pays en développement les besoins essentiels est au minimum de 20 litres par jour et par habitant. Dans ce cas, si la population d’un village est de 2 000 personnes, la ressource devra être capable de fournir 40 000 litres par jour (ou 40 m3). Comme la consommation n’est pas continue (nuit ou problème technique), il faut prendre en compte la consommation maximale instantanée prévisible. Supposons que l’on veuille assurer une alimentation continue pendant 8 heures, le débit instantané produit par la ressource devra être au minimum de 40 000 litres /8 heures, soit 5 000 litres par heure. Il faut y ajouter une estimation des pertes en eau dans les conduites (environ +10 à 20%) , lesquelles peuvent être d’ailleurs plus importantes suivant les longueurs et l’état des tuyaux. Il serait donc dans cet exemple prudent de prévoir une capacité minimale de 5 à 6 m3/h, mais une capacité si possible bien supérieure, 20l/j/habitant n’étant qu’un minimum.

Ceci n’est qu’un exemple, chaque ville ou village devra établir ses propres critères de dimensionnement en fonction du mode de distribution d’eau et de ses propres besoins, en particulier s’il faut aussi alimenter un abreuvoir, des jardins potagers et des dispositifs d’irrigation.

Dans le cas d’une source ou d’un forage équipé d’une pompe motorisée, il peut être envisagé d’en réduire le débit instantané par un fonctionnement en continu en l’équipant d’un réservoir.

Choix de l’origine de la ressource en eau et de son mode de captage :

L’eau peut être captée à partir d’une source ou d’un puits (eau souterraine) ou à partir d’une rivière ou d’un lac (eau de surface). La captage d’une eau de source est en général la solution la plus économique et permet parfois une alimentation gravitaire sans pompage. S’il n’y a pas de source, il faut envisager de creuser un puits ou un forage et de l’équiper d’une pompe à motricité humaine ou d’une pompe motorisée. Dans la plupart des cas, l’eau souterraine peut être consommée sans traitement particulier autre qu’une désinfection. Toutefois, l’eau peut être trouble après une période de fortes pluies.

Dans le cas où l’eau souterraine provenant d’une source ou de la nappe phréatique n’est pas disponible en quantité suffisante, il faut utiliser l’eau d’une rivière ou d’un lac. Les infrastructures à construire sont alors plus complexes et doivent comprendre une prise d’eau, une station de pompage et une filtration qui peut être précédée d’une décantation.

Mode d’alimentation en eau de la population et des bâtiments publics :
La consommation d’eau de chaque habitant dépend fortement de la façon dont il est alimenté et de son niveau de vie. La consommation sera très différente s’il s’agit d’une personne habitant en ville et disposant de toilettes ou s’il s’agit d’une personne habitant en zone rurale et devant chercher l’eau à la source ou à une borne fontaine. Dans le cas de bornes fontaines, il faut en déterminer le nombre et les emplacements en fonction de la localisation des communautés à alimenter.

Choix du matériel

Il est très important, de nombreux équipements, comme les pompes, tombant en panne s’ils ne sont pas assez robustes Ils doivent cependant être simples d’utilisation , faciles à maintenir en bon état et bien adaptés aux conditions locales.

Les technologies de captage recommandées sont celles qui ont déjà fait leurs preuves dans la région, qui permettent d’utiliser de la main d’œuvre locale et des équipements et matériaux locaux.

Il est donc prudent de choisir des équipements ayant déjà fait leurs preuves dans la région et pour lesquels on peut trouver des réparateurs compétents peu éloignés et des pièces détachées.

c) Aspects économiques

Les critères techniques permettent de déterminer la ou les solutions possibles. Il faut ensuite évaluer les coûts associés à chacune des options retenues (études préliminaires, investissement pour la construction des infrastructures et coût d’exploitation) et rechercher le mode de financement.

Il convient non seulement de calculer le coût des équipements mais encore celui de leur maintenance.

Il est enfin souvent utile de rapporter ce coût au nombre des futurs usagers et/ou de le calculer par m3, ne serait-ce que pour le comparer avec celui d’autres dispositifs envisageables et d’autres réalisations similaires dans la région ou pour le faire ressortir dans un dossier de demande d’aide à un bailleur ou de demande d’autorisation aux autorités locales.

Le financement des infrastructures est en général public, mais une partie peut provenir d’une ONG , d’une aide publique étrangère ou d’une participation de la population. Le coût de l’exploitation et de l’entretien est à la charge de la population mais doit être financièrement supportable par celle-ci et permettre d’assurer la viabilité et la pérennité du projet.

d) Aspects sociaux


Réunion d’information et de concertation de villageois

Les critères à prendre en compte pour le choix final de la technologie ne sont pas uniquement techniques et financiers mais aussi sociaux. Il est en effet essentiel prendre en compte les avis et les compétences de la population. Pour cela, les aspects suivants doivent être considérés :
- Le degré de l’intérêt local pour une amélioration de la situation de l’approvisionnement en eau
- Le type d’organisation communautaire existant ou à créer.
- Le niveau de cohésion entre les communautés.
- Les possibilités éventuelles de conflit ou d’opposition.
- Les possibilités d’apport de main d’œuvre locale.
- Les types de compétence disponibles dans les communautés.
- Les possibilités de contribution en espèces ou en nature (participation aux travaux, fournitures…)

Les communautés doivent être impliquées le plus tôt possible et pouvoir prendre en connaissance de cause les décisions relatives à leur participation, aux niveaux des services et à leurs modalités de mise en œuvre. 

Une bonne pratique consiste à créer un comité de gestion ou une Association des usagers provisoire (voir les fiches C6 à C8) qui mettrait à la disposition des communautés des informations concernant le contenu, les implications financières et la maintenance des différentes options. Ce comité serait aussi chargé de la mise en place de la structure définitive de gestion en charge de la maintenance et de l’initiation ou de la poursuite de la formation de la population aux règles d’hygiène et de santé.

e) Organisation des travaux

Avant de lancer les travaux, il faut prévoir l’organisation du chantier en se posant notamment les questions suivantes :
- Qui choisir ou confirmer comme maître de l’ouvrage, lequel en sera le propriétaire effectif , décidera ou confirmera la solution retenue, apportera les fonds nécessaires, s’assurera du respect de la réglementation , fixera les tarifs et la réglementation d’utilisation, passera les commandes et réceptionnera les travaux ?
- Qui choisir comme maitre d’œuvre, lequel assurera la coordination entre les différents corps de métiers sur le chantier et la conformité des réalisations avec ce qui avait été prévu. Un service technique de l’Etat ou de la région ? une personne du village ? ou une entreprise privée locale ? (solution la plus fréquente et conseillée)
- Qui sera chargé du contrôle des travaux ? Un bureau d’étude ou service indépendant ? Une personne désignée par le bailleur ? avec l’appui ou la participation des services techniques officiels locaux ?
 

4) Où s’adresser pour trouver davantage d’informations ?

- PS Eau (Programme Solidarité Eau). Il a publié notamment deux Guides :

 - un « Guide sur l’accès à l’eau potable dans les pays en développement » qui développe de façon très détaillé les grandes étapes d’un tel montage et les 18 questions à se poser pour ders services durables 
http://www.pseau.org/outils/biblio/resume.php?docu_document_id=3388

Nouvelle édition, plus complète, de 2014 (96 pages) :

http://www.pseau.org/outils/ouvrage...

 - un second guide, sous forme d’un diaporama illustré de 29 pages « Concevoir et monter un projet eau et Assainissement  » réalisé comme module de formation à Rennes pour des Ong présentes au Burkina Faso mais qui concerne en fait tous les pays. Ce Guide précise notamment 6 étapes clé et 7 critères de qualité
http://www.mirennes.fr/dyn/fic/publ...

- Interaide : Cette ONG a publié deux documents :

 - Le premier « L’adduction, quelques principes concernant le fonctionnement et le dimensionnement ». Cette brochure de 16 pages concernant plus spécialement la réalisation d’adductions d’eau par réseaux gravitaires a pour but de permettre de comprendre le fonctionnement de tels réseaux et donne en particulier des indications utiles sur des phénomènes hydrauliques tels que les pertes de charge, la ligne piézométrique, les coups de bélier… mais donne également des informations sur la fçon de concevoir et de dimensionner un projet
http://www.interaide.org/pratiques_...

 - Le second : une fiche résumée de 2 pages « Check list » précisant en particulier tous les documents à produire et les données à rechercher lors de la préparation d’un projet et de la réalisation d’un chantier.
 http://www.interaide.org/pratiques/...

- TERRE VIVANTE : « Tektaké, Projet de lutte contre la pauvreté dans l’Afrique du sud et le Karakoro »,
Ouvrage d’une quarantaine de pages de 2004 débordant le seul cadre d’un programme d’hydraulique villageoise et pastorale réalisé dans ce village de 8 300 habitants. Il aborde en fait le sujet de la méthodologie adoptée pour doter cette commune, avec la participation active de la population, d’un véritable plan intégré de développement de nature à le faire progresser durablement et comportant divers objectifs : hydraulique, agriculture, santé, éducation, maraîchage, pêche, arboriculture, transport, artisanat et action communale.
https://operations.ifad.org/documents/654016/a408895c-857c-49b3-9454-d98cdc4911d2

-WATERAID. Ce document de 3 pages en anglais « Considerations before design » précise plus particulièrement les nombreux problèmes, pas seulement techniques , auxquels il faut penser lors de la conception d’un projet et plus particulièrement ce qui doit être fait avec la population et les Comités villageois.
https://washmatters.wateraid.org/sites/g/files/jkxoof256/files/Technology%20notes.pdf



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